La vraie histoire du « Loup de Wall Street »

En 2004, Jordan Belfort a fait 22 mois de prison pour fraude et blanchiment. L’ancien trader en a profité pour écrire son autobiographie, dont Leonardo DiCaprio a acheté les droits avant même la sortie du livre. Voici l’histoire du plus grand escroc qu’ait connu Wall Street… avant Bernard Madoff.
Jordan Belfort le vrai Loup de Wall Street
Jordan Belfort, auteur du Loup de Wall Street.Michael Loccisano / Getty Images via AFP

En 2007, Leonardo DiCaprio remporte, face à Brad Pitt, une enchère très disputée. Ce qui attise les convoitises des blonds les plus puissants d’Hollywood ? Un livre, mais pas n’importe lequel. Il s’agit des mémoires de Jordan Belfort, plus connu sous le surnom de « loup de Wall Street ». Son autobiographie commencée en prison n’est pas encore publiée que les droits pour le cinéma sont déjà cédés à DiCaprio et Scorsese. Le film mettra plus de 5 ans à voir le jour.

L’histoire de Jordan Belfort avait tout pour séduire Hollywood. Dans Le Loup de Wall Street (paru en 2009 en France), plutôt que de détailler les mécanismes financiers qu’il a utilisé pour escroquer des milliers de clients, Jordan Belfort, y parle de cocaïne, de virées en hélicoptère, de prostituées et de l’ivresse du pouvoir.

Du Bronx à Wall Street
Né dans le Bronx dans une famille de classe moyenne, le petit Jordan se révèle être un génie de la vente dès son adolescence. Il enchaîne les petits boulots pour financer ses études à l’université, où il ne mettra (presque) pas les pieds. Pour faire plaisir à sa mère, il rentre en école de dentiste mais il abandonne dès le premier jour. Des études trop longues pour un salaire trop faible aux yeux de ce jeune ambitieux qui préfère se lancer dans le commerce. Il fait ses débuts comme vendeur de homards et de steaks surgelés en porte-à-porte, avec un bagou qui lui permet de battre les records de vente dès sa première semaine.

Belfort monte ensuite son business de surgelés qui fait rapidement faillite. Les huissiers saisissent sa Porsche, un épisode qui lui arrache une larme. Mais il ne s’apitoie pas longtemps sur son sort. Il a 24 ans, du talent et il a besoin d’argent. Wall Street est la destination toute trouvée.

Leonardo DiCaprio sur le tournage du Loup de Wall Street (James Devaney/FilmMagic)

Ce self-made man aime à rappeler qu’il a commencé en bas de l’échelle dans l’empire de la finance, avant d’être embauché comme assistant trader, en 1987.

#quote###« Quand je suis entré chez L.F. Rothschild, j'ai découvert un monde délirant où les traders étaient les maîtres de l'univers et la consommation de cocaïne une pratique courante. Le seul objectif était de faire de l'argent » se rappelle-t-il aujourd’hui.

Dans ses mémoires, il raconte que dès son premier jour de travail, son boss lui propose de l’alcool, de la cocaïne, « indispensable pour tenir le stress dans ce putain de métier ; utile aussi pour assurer avec les putes ». À l’époque, le jeune loup décline. « Si l’on m’avait dit à l’époque que, quelques années plus tard, je ferais exactement pareil, en pire, je ne l’aurais pas cru », écrit-il.

« Acheter ou mourir »
Un an après avoir découvert le monde de la finance, il fonde sa propre entreprise de trading en 1989. Le règne du loup de Wall Street peut commencer.

Stratton Oakmont devient l’une des plus grosses sociétés de courtage de New York. Sous les ordres de Belfort, une armée de très jeunes traders – jusqu’à un millier à l’apogée de la boîte – est chargée de lever des capitaux pour des entreprises en convaincant des boursicoteurs de devenir actionnaires. En réalité, Belfort fait grimper artificiellement le cours de ces actions en investissant lui-même dans les sociétés. Une fois que ses clients ont acheté des parts, il revend les siennes à profit, ce qui entraîne la chute du cours et la ruine des autres investisseurs. Ses employés, formés par ses soins, ont pour ordre de harceler les clients par téléphone pour leur écouler les actions, et de ne jamais raccrocher « avant que le client n’achète ou ne meure ».
Dans les bureaux, il règne un vacarme assourdissant et un sentiment de puissance enivrant qui tourne parfois à l’orgie. « C’était grisant ; c’était séduisant ; c’était libérateur ! Ça nous aidait à atteindre des buts qu’on n’aurait jamais pensé être capable d’approcher. Et ça nous emportait tous, surtout moi », écrit Belfort.

Cette magouille fonctionne à plein régime pendant près d’une décennie, durant laquelle Belfort empoche jusqu’à 50 millions de dollars chaque année.

Leonardo DiCaprio dans Le Loup de Wall Street, de Martin Scorsese (Metropolitan Film Export)

C’est la période de tous les excès, décrite en détails dans le récit du loup de Wall Street, comme on commence à le surnommer alors. L’escroc mène la belle vie avec un parfait cynisme. Il carbure à la poudre blanche et aux pilules, voyage en jet privé et dans son hélicoptère personnel, part en virée shopping en quête de prostituées de luxe avec des banquiers suisses.
Le loup de Wall Street n’est que l’un de ses surnoms, on l’appelle aussi Don Corleone ou Gordon Gekko, du nom du héros incarné par Michael Douglas dans Wall Street.

Accro à l’adrénaline, Jordan Belfort raconte comment il a failli s’écraser en hélico, trop défoncé pour trouver la piste d’atterrissage, ou comment il a coulé son yacht de luxe dans la Méditerranée. Rien ne l’arrête.

Le plus grand escroc de Wall Street… avant Madoff
En 1994, la Securities and Exchange Commission (la SEC, l’organisme fédéral chargé de réguler les marchés financiers) épingle Stratton Oakmont pour fraude, mais le procès est vite résolu. L’entreprise verse une amende de 2,5 millions de dollars tandis que Belfort et ses associés s’en tirent pour 100 000 dollars chacun. Aucun n’est reconnu coupable de fraude. Les affaires peuvent reprendre.

Mais en 1998, c’est le FBI qui se penche sur les affaires pas très nettes de Jordan Belfort. Cette fois, il est officiellement inculpé pour fraude et blanchiment. Son avocat Ira Lee Sorkin – qui défendra un autre escroc de légende, Bernard Madoff – le décrit comme « un génie de la vente qui s’est laissé emporter par l’hubris ». C’est la chute. La justice condamne le loup de Wall Street à 4 ans de prison, une peine allégée de moitié car il coopère avec le FBI et balance ses anciens employés. Sa deuxième femme, Nadine, le quitte.

Il intègre la prison de Taft, en Californie, en 2004. Dans sa cellule, sur les conseils de son codétenu, Belfort, qui cite Hunter S. Thompson et Le Bûcher des vanités de Tom Wolfe comme références littéraires, commence à rédiger ses mémoires. La suite, c’est à Hollywood que ça se passera, avec l’adaptation de son livre par Martin Scorsese, dont le film sort le 25 décembre en France.

Un « born-again » de la finance
Aujourd’hui libre, Jordan Belfort doit encore rembourser plus de 100 millions de dollars à ses clients lésés. Pour cela, il peut compter sur les droits d’auteurs qu’il touche sur ses livres et sur le film de Scorsese. C’est néanmoins loin d’être suffisant. Il s’est reconverti en une sorte de gourou du coaching professionnel et a fait de son nom une véritable marque. Avec sa nouvelle entreprise de « corporate training » (formation d’entreprise), il donne des conférences sur la formation en entreprises et les stratégies de vente, pour la somme de 30 000 dollars par intervention.

Repenti, il admet ses erreurs et se défend à présent d’être un homme nouveau, pétri d’éthique et de morale. Comme pour s’excuser, il insiste sur le fait que la plupart des clients qu’il a escroqués étaient riches, mais il s’avère que Stratton Oakmont a aussi ruiné des retraités modestes et de petits actionnaires qui se sont dramatiquement endettés.
Les interviews de l’ex loup de Wall Street prennent souvent des airs de discours sur le développement personnel. Gueule d’ange, regard bleu, teint halé et carrure de sportif, Belfort sait à merveille vanter son talent pour transmettre à autrui les techniques pour atteindre ses objectifs, sans hésiter à citer Mandela et Gandhi en exemples.

Interviewé par Le Monde en 2009 lors de la sortie en France de son autobiographie, en pleine crise financière, Belfort prédisait une « rupture éthique, avec plus de morale et de partage des richesses ». Avant d’ajouter immédiatement : « Mais attention car l’histoire se répète. » Quand on sait que son surnom de loup vient d’un film muet sorti en 1929, quelques mois avant le krach boursier, dont le héros est aussi un trader frauduleux, cette phrase résonne comme un avertissement.