Jessica Chastain, 8e merveille du monde

Vendredi 5 septembre, le Festival du cinéma américain de Deauville rendait hommage à la belle américaine de 37 ans. Rencontre avec une actrice délicieusement discrète. Par Marie Aimée
Rencontre avec Jessica Chastain à Deauville
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Un hommage à une actrice si jeune, dont la carrière n’a décollé qu’il y a trois ans, n’était-ce pas prématuré ? A bien y regarder, non. Cette célébration salue une trajectoire de mérite, de persévérance, de talent. Une trajectoire sur laquelle la star a accepté de revenir avec nous, dans un salon immense et vide de la villa Cartier, à deux pas de la plage où, désormais, elle aussi a sa cabine de plage à son nom le long des légendaires planches normandes. La voix est douce, légèrement voilée. La silhouette fine, sanglée dans une petite robe blanche. Et le sourire, d’une candeur sincère. Jessica Chastain a cette chose indéfinissable qui vous pousse à l’aimer instantanément.

Quelle a été votre réaction à l’annonce de cet hommage ?

J’ai été très émue. Ce festival m’a toujours gâtée. En 2011, il m’avait déjà décerné le New Hollywood Award, c’était l’année de Take Shelter et La couleur des sentiments. A mon grand regret je n’avais pas pu venir. Mais j’ai aussi été très surprise. C’est un cadeau magnifique mais, vu ma courte carrière, je me suis dis que je ne le méritais pas (rires) !

C’est la reconnaissance professionnelle qui est récente. Car, en réalité, vous travaillez depuis plus de dix ans. Après des années de danse, vous vous êtes formée à la Julliard School à New York, vous avez fait beaucoup de théâtre, de la télé, des films indépendants… A votre avis, pourquoi avez-vous dû attendre si longtemps pour percer ?

Je ne sais pas. C’est drôle vous savez, parce qu’entre cette période et aujourd’hui, je n’ai presque pas changé. Pour être honnête, je ne comprends pas. Il y a tellement de gens plus doués que moi, qui se battent et attendent encore le déclic. Ils n’ont juste pas encore eu ma chance. Et une fois qu’ils auront du succès, on leur posera la même question qu’à moi : mais pourquoi tu as dû autant te battre ? Ce métier est tellement étrange… Peut-être que j’auditionnais pour les mauvais rôles ? Plusieurs fois je me suis fait cette réflexion : pourquoi on me propose ces essais, je ne suis pas faite pour ce personnage. Tout ce qu’on espère c’est ce jour où, enfin, quelqu’un voit en vous une chose que les autres n’avaient pas vu.

Qui a été cette personne pour vous ?

Al Pacino. Il a changé ma vie. C’est le premier à m’avoir réellement « vue ». Il m’a choisie pour interpréter Salomé dans son projet Wilde Salome en 2010, un film autour de la pièce d’Oscar Wilde. A partir de là, l’industrie m’a enfin regardée.

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Il y a peut-être une explication à ce retard à l’allumage. Vous êtes Californienne mais vous incarnez la parfaite antithèse de l’actrice Côte Ouest. Physiquement et artistiquement on a presque le sentiment que votre ADN est européen, à des années lumières d’une Cameron Diaz, d’une Jennifer Aniston…

Ou de la sublime Kate Hudson (rires) ! Vous avez raison, c’est peut-être pour ça. J’aurai sans doute dû vivre en Europe, ça aurait été plus facile pour moi ici. Je n’aurais pas lutté si longtemps au début de ma carrière. Et je suis folle du cinéma européen.

Quel enseignement tirez-vous de ces années difficiles ?

J’ai appris que, même si je devais me battre, j’étais heureuse. Il ne s’est pas passé un jour sans que je fasse quelque chose en rapport avec mon métier. Que j’ai du travail ou pas, chaque jour je suis allée au yoga pour entraîner mon corps, ou à la bibliothèque pour lire, écrire – j’essayais d’adapter Hamlet en version féminine. Chaque jour j’ai fait quelque chose de créatif en rapport avec ma passion. Au fond de moi, rien ne s’est jamais éteint. Si vous arrivez à être heureuse sans bosser, sans personne pour valider votre légitimité d’artiste, tout va bien et ne peut qu’aller mieux. Vous êtes à la bonne place, une artiste pour toujours.

Vous avez su très jeune que vous vouliez être actrice ?

Oui, et je n’en ai plus jamais douté. Pourtant rien ne m’y prédisposait dans ma famille, je n’ai pas eu une mère qui m’a poussée sur le devant de la scène ou fait passer des castings enfant. A huit ans j’ai vu une pièce de théâtre. A la seconde où ma grand-mère m’a expliqué que ce que faisaient ces gens sur scène était un métier, j’ai su que ce serait le mien. Pas une fois je ne me suis interrogée sur les difficultés de la vie d’artiste. Je ne me suis jamais dit « C’est ce que je veux faire », je me suis dit « C’est ce que je suis ».

Aujourd’hui que vous croulez sous les propositions, comment choisissez-vous vos rôles ?

C’est très dur de dire non, je n’ai pas eu de travail pendant tellement longtemps ! Comparativement, ça me fait drôle aujourd’hui toutes ces opportunités. Et d’avoir à choisir. Je veux tout faire !

Il y a un critère qui vous aide à trancher ?

Il y a encore quatre ans, la première chose que je regardais dans un script c’était le personnage. Aujourd’hui ce qui m’importe d’abord c’est le metteur en scène. J’ai tellement à apprendre et les réalisateurs peuvent être des profs géniaux. Je cherche ceux qui ont un point de vue puissant, une voix à eux, dont les films détonnent par rapport aux autres. Comme Christopher Nolan avec qui j’ai fait Interstellar, Katheryn Bigelow (Zero Dark Thirty), Terrence Malick (The tree of life). Puis je regarde le personnage. Je ne veux pas me répéter.

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A quel rôle diriez-vous « Non » instantanément ?

Ça ne s’est pas encore présenté, je ne sais pas… Ah si ! À un film où l’on ne jouerait pas. Je m’explique : jouer c’est imaginer et faire croire, pas un documentaire. Prendre de la drogue ou faire l’amour pour de vrai pour les besoins d’un film, ça non. On sort du domaine de l’acting.

Même s’il ne travaille pas ainsi, vous diriez non à Lars Von Trier par exemple, réputé pour ses tournages éprouvants ?

Je l’adore ! J’aurais dit oui à la seconde à Breaking the waves, c’est l’un des plus grands réalisateurs vivants. Mais coucher en vrai dans ses films, non.

Vous parliez tout à l’heure de cinéma européen, qui d’autre ici vous inspire ?

Je le répète à longueur de journée, les gens vont finir par croire que je suis folle, à la limite du harcèlement, mais je pense qu’Isabelle Huppert est la plus grande actrice du monde (NDLR : elle partage avec elle l’affiche de The Disappearance of Eleanor Rigby du réalisateur Ned Benson, présenté à Deauville). C’est terrible à dire pour les autres, mais c’est ce que je crois. Elle est juste…au-delà de tout. Elle se challenge tout le temps, au théâtre ou au cinéma, elle va chercher des nouveaux réalisateurs venus de tous les pays. En France c’est quelque chose qui est très reconnu et célébré, pas aux Etats-Unis.

C’est-à-dire ?

Là-bas c’est très triste qu’une femme d’un certain âge doive se battre comme une damnée pour trouver des rôles. Heureusement maintenant il y a des séries TV qui offrent des rôles féminins formidables. Ce qui est fou chez Isabelle c’est qu’elle agit encore comme une étudiante. Elle est toujours en recherche, elle ne s’est jamais reposée sur ses compétences initiales. Elle se dit « Oh, ça je veux tester ! » et elle fonce. Quand vous la regardez jouer ça se sent. Elle me fascine